
C’est son avis dans le cadre d’une enquête du Sénat australien en lien avec l’initiative qui est en train de déboucher sur un code de conduite. D’un point de vue technique, portent sur l’un des éléments clés du web : les liens hypertextes.
« Sur le web, le partage de contenu repose sur la capacité des utilisateurs à faire deux choses : créer du contenu, généralement du texte mais aussi d'autres médias ; et faire des liens dans ce contenu vers d'autres parties du web. Ceci est conforme au discours humain en général, dans lequel il existe un droit, et souvent un devoir, de faire des références. Un article académique est nécessaire pour énumérer les références à d'autres articles qui sont liés. Un journaliste est normalement tenu de faire référence à leurs sources. Le discours des blogueurs implique des liens d'un blog à l'autre. La valeur du blog réside à la fois dans le texte et dans les liens soigneusement choisis.
Avant que les moteurs de recherche ne soient effectifs sur le web, suivre les liens d'une page à l'autre était le seul moyen de trouver du contenu. Les moteurs de recherche rendent ce processus beaucoup plus efficace, mais ils ne peuvent le faire qu'en utilisant la structure des liens du web comme principale entrée. Les liens sont donc fondamentaux pour le web.
D'après ce que je comprends, le code proposé vise à exiger de certaines plateformes numériques qu'elles doivent négocier et éventuellement payer pour établir des liens vers des contenus d'actualité provenant d'un groupe particulier de fournisseurs d'informations.
Le fait d'exiger une redevance pour un lien sur le web bloque un aspect important de la valeur du contenu web. À ma connaissance, il n'existe actuellement aucun exemple d'exigence légale de paiement pour les liens vers d'autres contenus. La possibilité d'établir des liens librement - c'est-à-dire sans limitations concernant le contenu du site lié et sans frais - est fondamentale pour le fonctionnement du web, son essor jusqu'à présent et sa croissance future dans les décennies à venir.
Comme beaucoup d'autres, je soutiens le droit des éditeurs et des créateurs de contenu à être correctement récompensés pour leur travail. C'est sans aucun doute une question qui doit être abordée, tant en Australie que dans le monde entier. Cependant, je suis fermement convaincu que les contraintes sur l'utilisation des liens hypertextes ne sont pas la bonne façon d'atteindre cet objectif. Cela porterait atteinte au principe fondamental de la possibilité de créer librement des liens sur le web, et est incompatible avec la façon dont le web a pu fonctionner au cours des trois dernières décennies. Si ce précédent était suivi ailleurs, il pourrait rendre le web inutilisable dans le monde entier. Je demande donc respectueusement à la commission de supprimer ce mécanisme du code de conduite en gestation », indique-t-il.
En d’autres termes, le fait pour des pays comme l’Australie ou la France de forcer les géants du numérique à rémunérer les éditeurs de presse pour relayer leurs articles est irréalisable sans saper un principe fondamental d’Internet.
La sortie de Tim Berners-Lee fait suite à celle de Mel Sylva de Google sur la question : « Cette disposition du code de conduite en cours de gestation créerait un précédent intenable pour notre entreprise et l'économie numérique. Elle n'est pas compatible avec le fonctionnement des moteurs de recherche ou d'Internet. Google n’est seul à penser ainsi. Le principe de la liberté d'établir des liens entre les sites web est fondamental pour les moteurs de recherche. Combiné au risque financier et opérationnel ingérable si cette version du code devenait une loi, cela ne nous donnerait pas vraiment d'autre choix que de cesser de rendre Google Search disponible en Australie. »
Fait notable de l’intervention de Tim Berners-Lee : elle ne fait pas mention des snippets – une technique plus récente qui double un lien d’une reprise, d’un extrait ou de tout autre élément de nature à expliciter le contenu du lien. Il apparaît qu’une bonne partie des internautes se contente de cette information, sans éprouver le besoin d’aller cliquer sur le lien et donc de visiter le site, qui par la suite ne peut monétiser ses contenus sous forme d’abonnement ou de publicité.
Les snippets sont l’un des points d’achoppement les plus importants de Google avec les autorités tant de la France que de l’Australie. En effet, Google a menacé de bloquer son moteur de recherche en Australie s’il est obligé de payer pour les extraits d’actualité lisibles au travers de ces derniers. En France, le géant de la technologie a cherché à éviter de payer les éditeurs pour la réutilisation de bribes de contenu dans ses produits d'agrégation de nouvelles et de recherche en ne les affichant plus dans le pays. En avril 2020, l’Autorité française lui a donc porté plainte pour abus de position dominante et obtenu gain de cause en octobre dernier. Ces tractations ont débouché sur un accord relatif à l’utilisation des publications de presse (via les snippets) avec l’Alliance de la presse d’information générale (APIG).
Cet accord fixe les principes selon lesquels Google négociera des accords individuels de licence avec les membres de l’Alliance dont les publications sont reconnues « d'Information Politique et Générale », ce, tout en reflétant les principes fixés par la loi. Ces accords individuels de licence couvriront les droits voisins et ouvriront l’accès à News Showcase – un nouveau programme de licence de publications de presse lancé récemment par Google, qui permettra aux lecteurs d’accéder à un contenu enrichi.
La rémunération prévue dans les accords de licence entre chaque éditeur de presse et Google est basée sur des critères tels que, par exemple, la contribution à l'information politique et générale, le volume quotidien de publications ou encore l’audience Internet mensuelle.
Pierre Louette, PDG du Groupe Les Echos - Le Parisien et, Président de l’Alliance de la Presse d’Information Générale, déclare : « Après de longs mois de négociations, cet accord est une étape importante, qui marque la reconnaissance effective du droit voisin des éditeurs de presse et le début de leur rémunération par les plateformes numériques pour l’utilisation de leurs publications en ligne ».
Sébastien Missoffe, Directeur Général de Google France déclare : « Cet accord est une étape majeure pour Google. Il confirme notre engagement auprès des éditeurs de presse dans le cadre de la loi française sur le droit voisin. Il ouvre de nouvelles perspectives pour nos partenaires, et nous sommes heureux de contribuer à leur développement à l’ère du numérique et soutenir le journalisme. »
Source : Sir Tim Berners-Lee
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