Michael Whinston, professeur d'économie au MIT, a été appelé à témoigner dans le cadre du procès antitrust historique qui oppose le DOJ à Google, leader mondial de la recherche en ligne. Le DOJ et la Federal Trade Commission (FTC) des États-Unis allèguent que Google a abusé de la position dominante de son moteur de recherche omniprésent pour freiner la concurrence et l'innovation au détriment des consommateurs. Le procès relatif à la recherche sur Google a démarré en septembre 2023 et promet de remodeler entièrement le marché de la recherche en ligne. Google, qui risque gros dans cette affaire, a bien sûr rejeté les allégations du DOJ et de la FTC.
Le DOJ et la FTC affirment également que Google a illégalement maintenu un monopole sur la recherche en ligne en versant des milliards de dollars aux navigateurs Web et aux fabricants de smartphones pour s'assurer qu'il est l'option présélectionnée par les utilisateurs accédant au Web. Dans le cadre de ces accords, Google verse à Apple, à Samsung et à d'autres une part des revenus qu'il tire de la publicité sur les recherches. Google réfute ces accusations et estime que ces contrats ne sont en rien une pratique antitrust. Mais le témoignage de Whinston révèle les dessous de l'activité publicitaire de Google et la façon dont il manipule les enchères publicitaires.
Pour rappel, l'enchère publicitaire est le processus de tarification de la publicité en ligne sur la base du paiement au clic, dans lequel il y a différentes offres pour placer vos annonces dans des emplacements délimités par les annonceurs. En d'autres termes, il s'agit du processus qui se déroule lors de chaque recherche sur Google et qui permet de décider quelles annonces apparaîtront pour cette recherche spécifique et dans quel ordre ces annonces seront affichées sur la page (ou si aucune annonce ne sera affichée du tout). Chaque fois qu'une annonce est susceptible d'apparaître dans le cadre d'une recherche, elle est soumise à une vente aux enchères.
Whinston, qui a témoigné en tant qu'expert pour le gouvernement américain, a réfuté les arguments de Google selon lesquels la société ne contrôle pas les prix de ses enchères publicitaires. L'universitaire a cité des documents internes de l'entreprise qui reconnaissent la capacité d'extraire de la valeur en modifiant la manière dont ces enchères se déroulent. Il a déclaré vendredi que Google avait modifié la manière dont il vendait les annonces textuelles à travers un projet connu sous le nom de code "Projet Momiji", du nom de ces célèbres poupées japonaises en bois qui disposent d'un espace caché permettant à des amis d'échanger des messages secrets.
« Cette modification visait à augmenter les prix par rapport à l'offre la plus élevée », a-t-il déclaré au juge Amit Mehta devant le tribunal fédéral de Washington. Les enchères publicitaires de Google exigent que le gagnant ne paie qu'un centime de plus que le second. En 2016, l'entreprise a découvert que les seconds ne proposaient souvent que 80 % de l'offre du vainqueur. Selon Whinston, pour éliminer ces 20 % entre l'offre du second et ce que le gagnant était prêt à payer, Google a donné au second un handicap intégré pour rendre son offre plus compétitive. Il a cité des courriels internes et le témoignage scellé de Jerry Dischler, responsable financier de Google.
« Il est très facile de penser qu'il s'agit d'une vente aux enchères et qu'une vente aux enchères est synonyme de concurrence. Cela dit, ce sont les annonceurs qui font la course et c'est Google qui fixe les règles », a déclaré Whinston, expliquant que la capacité de Google à modifier les règles démontre son monopole sur la publicité en ligne. Selon Dischler, environ deux tiers, soit plus de 60 %, du chiffre d'affaires total de Google proviennent des annonces de recherche, ce qui représente plus de 100 milliards de dollars en 2020. Chaque année depuis 2012, la croissance du chiffre d'affaires de l'entreprise pour les annonces de recherche a été de l'ordre de 10 %.
Dischler a déclaré le 19 septembre que Google modifiait parfois ses enchères publicitaires pour s'assurer d'atteindre les objectifs de revenus, mais la majeure partie de son témoignage s'est déroulée sous scellés. Les commentaires de Whinston décrivent la technique utilisée par Google, appelée "squashing", qui vise à rendre l'offre du second plus compétitive. Google a estimé que cette technique, ainsi que le fait de facturer plus cher les annonces qui utilisent plus de mots dans leur texte, permettrait d'augmenter les recettes de 15 %. « Google n'a pas été transparent sur ce qu'il fait en matière de tarification », a déclaré Whinston à la juge chargée de l'affaire.
Whinston a ajouté : « mais les annonceurs ont des moyens de s'informer, même s'ils ne savent pas exactement ce que fait Google ». Le témoignage de Whinston vient s'ajouter aux témoignages du PDG de DuckDuckGo, Gabriel Weinberg, ainsi que des cadres de Microsoft et d'Apple. Si Apple défend son contrat avec Google, Microsoft et DuckDuckGo affirment que Google domine la recherche en ligne grâce à des pratiques déloyales. Lors de son audition, le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a déclaré que les tactiques déloyales utilisées par Google ont conduit à sa domination en tant que moteur de recherche, notamment à ses nombreux accords d'exclusivité.
Certains des documents présentés dans le cadre du procès pourraient également prouver que Google manipule les requêtes de recherche dans le but d'augmenter ses profits sur les publicités. Pour cela, l'entreprise aurait révisé l'algorithme des SERP (page de résultats d'un moteur de recherche). En fait, lorsqu'un internaute saisit une requête, il peut s'attendre à ce qu'un moteur de recherche intègre des synonymes dans l'algorithme ainsi que des paires d'expressions textuelles dans le traitement du langage naturel. Mais en mettant à jour l'algorithme, Google serait allé plus loin en modifiant les requêtes pour générer des résultats plus commerciaux.
Les témoignages ont également révélé qu'Apple a envisagé "sérieusement" à un moment donné de remplacer Google par DuckDuckGo en tant que moteur de recherche par défaut pour le mode de navigation privée de Safari. Cependant, un cadre d'Apple a émis des réserves sur ce projet, estimant que DuckDuckGo n'était pas aussi axé sur la vie privée qu'on le pensait. Lors de discussions avec des cadres d'Apple, l'équipe de DuckDuckGo a fait remarquer que "le contrat qui fait de Google le moteur de recherche par défaut sur Safari était souvent l'éléphant dans la pièce". Ce contrat rapporterait des dizaines de milliards par an à Apple.
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