Google est sur le point de recevoir une plainte formelle de l’Union européenne pour abus de position dominante dans le domaine de la publicité en ligne, qui pourrait entraîner de nouvelles amendes colossales et porter atteinte au cœur du modèle économique du géant américain, selon des sources de Reuters. Cette plainte formelle, qui devrait être annoncée dès mercredi, marquera une nouvelle escalade dans un long feuilleton qui a déjà conduit à trois sanctions de l’UE totalisant plus de 8 milliards d’euros, notamment :
- AdSense : en 2019, Bruxelles a infligé une amende de 1,49 milliard d'euros à Google en raison de ses restrictions sur AdSense, sa régie publicitaire qui détenait alors 80 % du marché européen de l’intermédiation publicitaire en ligne. Margrethe Vestager, qui était alors la commissaire européenne de concurrence, a expliqué que Google a contraint les clients de son activité AdSense à refuser la publicité de ses concurrents, une pratique qui s’est étalée sur plus de 10 ans : « Google a consolidé sa position dominante dans les annonces de recherche en ligne et s'est protégé de la pression concurrentielle en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux sites Web tiers. C'est illégal en vertu des règles antitrust de l'UE. L'inconduite a duré plus de dix ans et a privé d'autres entreprises de la possibilité de rivaliser sur le fond et d'innover - et les consommateurs des avantages de la concurrence ».
- Shopping : en 2017, la Commission européenne lui a infligé une amende de 2,42 milliards d'euros pour abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche en favorisant son propre service de comparaison de prix. Bruxelles a expliqué que :
- Google a toujours accordé une position de premier plan à son propre service de comparaison de prix : lorsqu'un consommateur introduit une demande dans le moteur de recherche de Google, pour laquelle le service de comparaison de prix de Google souhaite montrer des résultats, ceux-ci sont affichés en haut ou dans la première partie des résultats de recherche ;
- Google a rétrogradé les services de comparaison de prix concurrents dans ses résultats de recherche : les services concurrents de comparaison de prix apparaissent dans les résultats de recherche de Google sur la base des algorithmes de recherche générique de Google. Google ayant assorti ces algorithmes de plusieurs critères, les services de comparaison de prix concurrents sont rétrogradés. Il est établi que même le service concurrent le mieux classé n'apparaît en moyenne qu'à la page 4 des résultats de la recherche de Google, les autres figurant encore plus bas. Le service de comparaison de prix de Google n'est pas soumis aux algorithmes de recherche générique de Google, donc à ces rétrogradations.
- Android : en 2018, la Commission européenne a infligé à Google une amende de 4,34 milliards d'euros pour abus de position dominante avec le système d'exploitation. Bruxelles reprochait à Google d'avoir forcé les fabricants de téléphones à préinstaller certaines de ses applications, notamment Search et Chrome, à l'exclusion d'autres moteurs de recherche et navigateurs Web.
Facebook et Google accusés de collusion
En 2017, Facebook a déclaré qu'il testait une nouvelle façon de vendre de la publicité en ligne qui menacerait le contrôle de Google sur le marché de la publicité numérique. Mais moins de deux ans plus tard, Facebook a fait volte-face et a déclaré qu'il rejoignait une alliance d'entreprises soutenant un effort similaire de Google.
Facebook n'a jamais dit pourquoi il s'était retiré de son projet, mais des éléments de preuves présentés dans une action en justice antitrust déposée par 10 procureurs généraux d'État en décembre 2020 indiquent que Google s'était entendu avec Facebook. Selon les documents judiciaires, c’est en septembre 2018 que Facebook a signé un accord dans lequel le réseau social a accepté de ne pas faire concurrence aux outils de publicité en ligne de Google. En retour, le numéro un des réseaux sociaux a reçu un « traitement spécial » lorsqu'il les a utilisés lui-même.
Les détails de l'accord, basés sur des documents que le bureau du procureur général du Texas a déclaré avoir découverts dans le cadre de la poursuite multi-états, ont été fortement censurés dans la plainte déposée devant un tribunal fédéral du Texas en décembre 2020. Mais ils n'ont pas été cachés dans une version préliminaire de la plainte examinée par le New York Times.
Selon le Times, le contrat « Jedi Blue » aurait permis à Facebook d’être avantagé dans le domaine de la publicité en ligne. Les conditions offertes par Google à Facebook donnaient au géant des réseaux sociaux des avantages sans précédent. Facebook a eu plus de temps pour faire des offres sur la plupart des enchères et Google a fourni des informations confidentielles à Facebook sur les audiences. Dans le cadre de cet accord illégal, Facebook avait promis de se positionner sur au moins 90 % des enchères dès lors qu’il pourrait identifier l’audience.
Concrètement, Google, à travers son programme « Open bidding », joue un rôle d'intermédiation entre les annonceurs et les éditeurs en ligne, en organisant des enchères en temps réel. Meta fournit des services d'affichage publicitaire en ligne et, via son « Meta Audience Network », participe à des enchères pour des espaces publicitaires d'éditeurs tiers en utilisant les services de technologie publicitaire de Google et de concurrents.
Facebook aurait donc dépensé au moins 500 millions de dollars par an dans le cadre de l’accord « Jedi Blue ». Selon le New York Times, les autres partenaires publicitaires de Google n’auraient jamais pu faire une aussi bonne affaire. La firme de Mountain View a donc délibérément favorisé le géant des réseaux sociaux en lui garantissant un nombre déterminé de gains publicitaires.
L'Europe s'est elle aussi intéressée à cet accord. En mars 2022, après des mois d'enquêtes, la Commission européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête formelle à la fois contre Google et contre Meta (maison mère de Facebook).
Un démantèlement serait prévu
L’activité publicitaire de Google est de loin la plus rentable, représentant environ 80 % de son chiffre d’affaires annuel. Pour mémoire, en 2022, Google a généré 224.47 milliards de dollars de revenus publicitaires, ce qui représente près de 80 % de ses revenus totaux (qui étaient de 282.83 milliards de dollars). Dans ce montant, plus de 162 milliards de dollars provenaient de Google Search, plus de 29 milliards de dollars provenaient des annonces YouTube et près de 33 milliards de dollars provenaient des sites de son Réseau. Pour mémoire, afin que vous puissiez mieux contrôler les emplacements de diffusion de vos annonces, Google a divisé son Réseau Google en deux groupes :
- Le Réseau de Recherche : il comprend les pages de résultats de recherche, d'autres sites Google, tels que Maps et Shopping, ainsi que des sites qui s'associent à Google pour diffuser des annonces.
- Le Réseau Display : il comprend des sites Google comme YouTube, Blogger et Gmail, ainsi que des milliers de sites partenaires de Google sur le Web.
L'activité publicitaire de Google
En 2021, la Commission a ouvert une procédure d'examen contre Google. En janvier de cette année-là, elle a confirmé l’envoi de questionnaires aux acteurs du secteur dans le cadre de son enquête sur les pratiques de collecte de données et de publicité de Google. Cette décision intervient « dans le contexte de l’enquête de la Commission sur la manière dont Google collecte et utilise les données », selon le communiqué de la Commission européenne. « Cette enquête couvre tous les services de Google, y compris la publicité numérique et la chaîne de technologie publicitaire. »
L’enquête de la Commission a examiné comment l’entreprise aurait pu entraver l’accès des concurrents aux données des utilisateurs pour la publicité en ligne ainsi que comment elle aurait pu réserver ces données à son propre usage.
L'accord de Google avec Meta Platforms Inc. dans le cadre du programme Open Bidding faisait initialement partie de l'enquête, mais a été abandonné fin 2022. En septembre 2022, l'enquête a été élargie après que l'autorité portugaise de la concurrence a soumis de nouvelles preuves. L’autorité britannique de la concurrence a également enquêté sur les pratiques publicitaires de Google et des litiges contre le comportement de la firme sont en cours aux États-Unis.
Reuters indique que l'option d'un démantèlement de Google n'est pas hors de propos : « Les ordonnances de démantèlement de l'autorité de la concurrence de l'UE sont rares. Cependant, la frustration a augmenté après que Google n'a pas répondu aux problèmes de concurrence », a déclaré la source.
En parallèle, Google continue à contester ses amendes antitrust devant les tribunaux européens, notamment l'amende record de 4,34 milliards d’euros pour la manière dont il gère son système d’exploitation mobile Android. Il s’agit du deuxième revers judiciaire pour Google qui a perdu son recours contre une amende de 2,42 milliards d’euros l’an dernier, la première d’une série de trois affaires.
Sources : Reuters, support technique Google
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