Définitivement adoptée le 11 juillet dernier par le Sénat français, le projet de loi visant à instaurer une taxe sur les grandes enseignes du numérique a été publiée le 25 juillet au Journal officiel sans contrôle du Conseil constitutionnel, malgré la promesse de Bruno Le Maire. La taxe qualifiée de taxe GAFA s'applique à hauteur de 3 % sur les revenus des services numériques gagnés en France par les entreprises de plus de 25 millions d'euros de chiffre d'affaires français et 750 millions d'euros (838 millions de dollars) dans le monde. Cette taxe n’impose pas seulement le bénéfice, souvent consolidé dans des pays à très faible fiscalité comme l'Irlande, mais le chiffre d'affaires, en attendant une harmonisation des règles au niveau de l'OCDE.
Seulement, Donald Trump et les entreprises américaines n’ont pas apprécié cette nouvelle taxe française et chacune des deux parties a de bonnes raisons. A la veille de son adoption finale par le Sénat français, l’administration Trump a décidé d’ouvrir une enquête sur la taxe Gafa française pour déterminer si elle constitue une pratique commerciale déloyale. Selon un article publié le mardi par Reuters, Google, Facebook Inc et Amazon.com Inc et bien d’autres sociétés témoigneront lundi prochain lors d'une audition du gouvernement américain sur la taxe sur les services numériques du gouvernement français.
Le mois dernier, le président américain Donald Trump a menacé de taxer les vins français en représailles de la taxe numérique. Pour la Maison-Blanche, « la mesure unilatérale de la France semble cibler les entreprises technologiques américaines innovantes qui fournissent des services dans des secteurs distincts de l'économie ». Le Bureau du représentant américain au commerce extérieur qui a ouvert une enquête sur la taxe en juillet a qualifié la mesure de « déraisonnable ». Le bureau pourrait émettre de nouveaux tarifs sur les produits français ou d'autres restrictions commerciales après la fin de la période de commentaires du public, le 26 août, a rapporté Reuters.
Le processus qui a conduit à l’adoption d’une taxe numérique adaptée au marché français
En mars 2019, à cause de la réticence de quatre pays, dont l’Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande, les pays membres de l’Union européenne ont officiellement abandonné l’initiative d’un projet de loi qui visait à instaurer une taxe numérique européenne ciblant les GAFA afin de limiter l’optimisation fiscale pratiquée par de nombreuses multinationales. Les ministres des Finances européens avaient préféré attendre les démarches initiées à l’OCDE (l’organisation de coopération et de développement économique) où des discussions étaient en cours pour parvenir à un accord sur une taxe internationale sur les géants du numérique d’ici à 2020.
La France a décidé de faire cavalier seul à cause du manque d’accord au niveau européen. L'Assemblée nationale a adopté le 4 juillet, par 34 voix pour et 13 abstentions, sans aucun vote contre, le projet de loi visant à instaurer la nouvelle taxe sur les grandes enseignes du numérique. Le projet de loi a été voté auparavant en première lecture au Palais Bourbon, puis au Sénat au printemps dans des versions différentes. Le texte a ensuite fait l'objet d'un compromis en commission mixte paritaire en fin juin. Le 11 juillet, c’était le tout du Sénat français d’approuver la nouvelle taxe numérique.
Finalement, le texte de la loi régissant la taxe sur les activités numériques en France a été publié le 25 juillet 2019 au Journal officiel sans aucun contrôle constitutionnel, modifiant ainsi le code général des impôts. Cette taxe numérique adaptée au marché français, qui vise en majorité les multinationales américaines et qui sera rétroactive puisqu’entrant en vigueur à partir du 1er janvier 2019, a été promulguée malgré les tentatives américaines d'intimidation.
Les Etats-Unis et les sociétés américaines contre une taxe numérique qui vise les grandes entreprises numériques américaines en France
Si dans le fond, les États-Unis semblent d’accord avec le principe de taxer plus lourdement diverses multinationales (taxation des activités digitales et taxation minimum), ils estiment, néanmoins, que « ;cela devrait être fait sur une base plus large que la sélection d’un secteur particulier ;», comme l’a précisé, en mars dernier, Chip Harter, responsable du Trésor et délégué US pour les discussions fiscales internationales. La Maison-Blanche ne soutient pas la version française de la taxe GAFA de la France dès le départ. Mais le ministre de l’Économie Bruno le Maire a déclaré en mars que la France « ;est un État libre et souverain qui décide de sa taxation et qui la décide librement et souverainement ;».
Les représentants des géants du numérique sont conviés à témoigner le lundi lors d'une audition du gouvernement américain sur la taxe français, mais ces entreprises ont déjà produit des témoignages par écrit. Selon Reuters, Alan Lee, responsable de la politique fiscale mondiale de Facebook, a déclaré que la taxe « pose des difficultés pour le modèle économique de Facebook et entravera la croissance et l'innovation dans l'économie numérique » et nécessiterait une refonte de ses systèmes. Selon M. Lee, « bien que nous ayons les données nécessaires pour calculer l'impôt, il nous faudrait plus de temps et de ressources pour saisir ces données et les conserver aux fins de l'impôt et de la vérification ».
L’unité Google d’Alphabet Inc. a aussi produit un témoignage par écrit. Selon Reuters, son conseiller en politique commerciale, Nicholas Bramble, a déclaré que l'impôt français est « une rupture radicale par rapport aux règles fiscales établies de longue date et vise uniquement un sous-ensemble des entreprises » et est « susceptible de générer des litiges sur la question de savoir si des activités numériques spécifiques ont été "fournies en France" ou dans une autre région ».
La taxe « représente un précédent troublant, s'écarte inutilement du progrès vers des politiques fiscales internationales stables et durables et peut affecter de façon disproportionnée les sociétés américaines ayant leur siège aux Etats-Unis », a déclaré Jennifer McCloskey, vice-présidente des politiques au Conseil de l'industrie des technologies de l'information, qui représente Amazon, Facebook, Apple Inc., Google et bien d'autres entreprises, et qui témoignera également lundi dans l’affaire de la taxe française.
Dans son témoignage écrit pour l’audience du Bureau du représentant américain au commerce, Peter Hiltz, directeur de la politique fiscale internationale d'Amazon, a déclaré que plus de 10 000 petites et moyennes entreprises françaises qui vendent sur les boutiques en ligne d'Amazon ont informées que certains frais vont augmenter de 3 % pour les ventes effectuées sur Amazon.fr à compter du 1er octobre. Il a ajouté que « les produits et services américains vendus par l'intermédiaire de la boutique en ligne d'Amazon en France coûteront plus cher » en raison de la taxe.
Le géant du commerce électronique a fait une annonce similaire sur son site Web pour la France en début du mois. Dans un entretien accordé au Parisien, Mounir Mahjoubi, député LREM et membre d’un comité mandaté par les parlementaires dans le cadre d’une enquête sur l’état et les pratiques de la grande distribution dans ses relations commerciales avec les fournisseurs en France, s’est insurgé contre la décision d’Amazon France de vouloir répercuter la taxe Gafa sur ses tarifs aux entreprises françaises qui utilisent sa plateforme de vente en ligne.
Dans leur témoignage écrit, d’autres entreprises américaines touchées par la taxe ont ajouté qu' « il y a une forte probabilité que le coût de la taxe soit répercuté sur toute la chaîne d'approvisionnement ». Selon Reuters, le groupe d’entreprises a déclaré que la taxe « est injustifiable en ce qu'elle viole les accords internationaux et déraisonnable en ce qu'elle est discriminatoire, rétroactive et incompatible avec les principes des politiques fiscales internationales ».
D'autres pays de l'UE, dont l'Autriche, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie, trouvent aussi qu'une taxe sur les grandes multinationales de l'Internet telles que Facebook et Amazon est nécessaire parce qu’elles font des profits dans des pays à faible fiscalité comme l'Irlande, peu importe d'où proviennent leurs revenus. Ces pays comptent également instaurer des plans pour leurs propres taxes numériques. Mais cette réaction massive des multinationales américaines et de l’administration Trump ne va-t-elle pas les faire reculer ?
Source : Reuters
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Le , par Stan Adkens
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